Sarkozy et la justice : un tournant judiciaire ?

Temat przeniesiony do archwium.
Le chef de l'Etat qui est partie civile dans l'affaire Clearstream, qui porte plainte au civil pour une publicité le mettant en scène et qui porte plainte au pénal contre un organe de presse.

Notre question :

- Un président partie civile dans l'affaire Clearstream, qui porte plainte au civil pour une publicité (Ryanair), qui porte plainte au pénal contre nouvelobs.com… Est-ce un tournant judiciaire et constitutionnel ?

Les réponses :

Eric de Montgolfier, procureur de la république au tribunal de Nice :
- "Il s'agit d'une appréciation non pas de légalité, mais d'opportunité. Je ne suis pas choqué que le président demande réparation du préjudice qu'il aurait subi dans l'affaire Clearstream, même si on peut effectivement s'interroger sur l'opportunité de cette démarche. Quand à la possibilité pour le président de porter plainte, la loi le permet, donc pourquoi le refuser ? Ses prédécesseurs estimaient se situer bien au-dessus de cela, mais le chef de l'Etat semble avoir une vision bien différente de sa fonction. Il faut en tout cas espérer que les juges aient l'indépendance nécessaire pour s'abstraire à la puissance de ceux qui les saisissent – mais c'est une question de chaque instant."

Serge Portelli, magistrat, vice-président au tribunal de Paris :
- "Je sais que l'une des 'philosophies' de Nicolas Sarkozy est d'agir comme s'il était tout le monde. Dans ce cas, pourquoi ne pas être le plaignant ordinaire ? Sauf que la grande différence réside dans le fait qu'il n'est justement pas un plaignant ordinaire. C'est lui qui est à la tête du Conseil supérieur de la magistrature, qui nomme une partie des hauts-magistrats… Etre à la fois justiciable, président de la République, avocat et bénéficié d'une immunité constitutionnel crée un déséquilibre évident. Mais tout cela ne concerne que sa conscience à lui et c'est à l'opinion publique d'en tirer les conséquences."

Philippe Bilger, avocat général près de la cour d'appel de Paris :
- "Une grande partie de ces procédures s'explique par la propre démarche du président. Nicolas Sarkozy a voulu et a théorisé la libération de la parole présidentielle et la décrispation de la posture présidentielle. Simplement, les conséquences ont été plus grandes qu'il ne le prévoyait.
Ensuite, je sais qu'il y a une tradition française qui veut que les présidents répugnent à engager des actions. Personnellement, je n'ai pas un refus de principe à de telles actions.
Pour l'affaire Clearstream, Le président de la République peut être partie civile et continuer à l'être. Le statut particulier que lui confère sa fonction ne le lui interdit pas techniquement. Et, au vu des derniers développements de l'enquête, cela m'étonnerait beaucoup qu'il se désiste.
En ce qui concerne l'affaire de la publicité Ryanair, je ne trouverais pas choquantes toutes les actions qui sont de nature à sauvegarder la dignité de la fonction présidentielle. La publicité, aussi drôle qu'elle ait pu être, est une chose qui pouvait porter atteinte à la dignité présidentielle, et ce, quoiqu'on pense de la manière dont Nicolas Sarkozy habite la fonction.
Pour l'affaire du SMS, la plainte est davantage liée à la personne privée du président qu'à la personne politique. D'autant que ce genre de plaintes pourrait se multiplier à l'avenir puisqu'elle vise surtout à la défense de la vie intime."

Thierry Lévy, avocat au barreau de Paris, ancien président de l'Observatoire International des Prisons (OIP) :
- "Depuis Valéry Giscard d'Estaing, les présidents s'étaient interdit d'aller devant les tribunaux. Mais Nicolas Sarkozy a le droit de rompre avec la tradition. Le problème, c'est que le statut pénal du chef de l'Etat fait qu'il peut lancer des poursuites, mais qu'il ne peut être poursuivi. Ainsi, dans l'affaire du SMS, Airy Routier, visé par la plainte du président, ne pourrait pas en retour déposer plainte contre lui pour dénonciation calomnieuse, s'il s'avère que le message est vrai. Il y a donc déséquilibre, et Nicolas Sarkozy en profite. Quant à l'affaire Clearstream, il est très choquant qu'il soit partie civile, maintenant qu'il est à l'Elysée."

Gilbert Collard, avocat au barreau de Marseille :
- "Oui, c'est un tournant. Il est bon que le droit ait évolué et que l'offense au chef de l'Etat ait disparu notamment, mais en retour on ne peut l'empêcher de se défendre. Ses prédécesseurs n'ont jamais porté plainte car ils n'ont pas eu l'occasion de le faire : je ne me rappelle pas que Jacques Chirac ait jamais eu à subir des attaques aussi violentes que Nicolas Sarkozy sur sa vie privée, et on n'a jamais publié de SMS de ou à Bernadette. Et le président a tout autant le droit de se porter partie civile dans l'affaire Clearstream s'il le souhaite. Je ne vois pas en quoi il y aurait un problème de déséquilibre : certes, il bénéficie d'une immunité, mais elle joue dans le cadre de sa fonction, et ne s'applique pas à titre personnel. S'il viole quelqu'un, il ne pourra pas en bénéficier – c'est du moins mon interprétation, et celle de nombre de constitutionnalistes. Mais la vraie question qui se cache derrière la vôtre, c'est de savoir quel impact la fonction du plaignant pourrait avoir sur l'indépendance des juges."

Jean Gicquel, professeur de droit constitutionnel à la Sorbonne, ancien membre du Conseil Supérieur de la Magistrature :
- "Il s'agit de faits inédits. Aucun président n'a jamais été partie civile, ni porté plainte au pénal. Le statut pénal du chef de l'Etat a été révisé en février 2007 par les articles 67 et 68 de la Constitution. Le constituant a voulu protéger le chef de l'Etat de toute action au plan civil et pénal, sauf en cas de manquement grave à sa fonction. Mais il a oublié l'hypothèse où celui-ci porte plainte. Dans ce cas, les personnes attaquées ne peuvent réagir de leur côté avant la fin du mandat présidentiel, puisque les procédures dirigées contre lui ne peuvent être prises en compte. Ainsi, le divorce du couple Sarkozy n'aurait pu être prononcé autrement que par consentement mutuel. Aujourd'hui, vu la situation inédite, rien n'interdit de réviser à nouveau la Constitution. Intrinsèquement, il y a déséquilibre, puisqu'il ne peut y avoir de débat à armes égales. C'est peut-être surprenant, mais c'est tous cas parfaitement conforme à ce que prévoit la Constitution."

Bruno Thouzellier, président de l'Union Syndicale des Magistrats (USM, majoritaire):
- "Clearstream, c'est une chose : c'était avant que Nicolas Sarkozy ne devienne président, et il était victime : il n'est donc pas illogique qu'il se soit porté partie civile. Pour ce qui concerne les deux autres affaires, je n'ai pas à porter de jugement sur des procédures en cours. On peut simplement remarquer qu'il y a déséquilibre, du fait que le président ne peut être poursuivi ni entendu, mais qu'il lance des poursuites. Il n'est pas un justiciable comme les autres, mais il agit comme tel. Rien n'interdit qu'il porte plainte. Mais, d'un point de vue procédural, cela va poser problème. Quant au fait de porter plainte au pénal contre la presse, c'est effectivement une première."

Régine Barthélémy, présidente du Syndicat des Avocats de France (SAF) :
- "C'est en tout cas un tournant judiciaire, et une nouvelle conception du rôle du président, qui diffère fortement de celle de ses prédécesseurs. Bénéficiant d'une immunité, il se permet par ailleurs de s'impliquer dans des procédures judicaires. Cela pose certaines questions, mais en tout cas, il en a le droit, et ne franchit pas la légalité. "

Hélène Franco, secrétaire générale du Syndicat de la Magistrature (SM, gauche) :
- "C'est effectivement une situation inédite et un tournant dans la pratique des institutions. Le président est garant de l'indépendance de l'autorité judiciaire, selon l'article 64 de la Constitution. Il se doit de prendre des décisions si l'autorité judiciaire est menacée, un peu de la même façon qu'un juge. Et il préside le CSM, jusqu'à une éventuelle réforme. Le fait qu'il soit partie dans plusieurs affaires judiciaires en cours pose donc problème, du point de vue de la place du président dans l'ordre institutionnel. Le président ne peut bien sûr être mis en cause pendant la durée de son mandat, mais il ne peut pas non plus être entendu, pas même comme témoin ou comme partie civile. Ce n'est pas un justiciable à qui on peut appliquer les règles de droit commun. Il a choisi d'agir différemment de ses prédécesseurs : l'exercice est assez périlleux.
Le juge d'instruction Renaud Van Ruymbeke est poursuivi sur le plan disciplinaire devant le CSM, pour ses méthodes contestées dans le dossier Clearstream. Dans cette affaire, Nicolas Sarkozy s'est porté partie civile avant d'être élu à l'Elysée. Et il est aussi président du CSM. C'est tout de même un gros souci."

Lionel Escoffier, président de la Fédération Nationale des Unions des Jeunes Avocats (FNUJA) :
- "Un tournant constitutionnel non, un tournant judiciaire peut-être. En effet, il y a eu peu de précédents de plainte portée par un président au civil – Pompidou était le dernier à l'avoir fait, pour une publicité – et jamais de plainte portée au pénal. Mais le chef de l'Etat ne voit pas ses droits civils suspendus le temps de sa présidence, et pourquoi lui interdire de lancer des poursuites ? Si toutefois on veut le faire, il faut réviser la Constitution."

Propos recueillis par Anne-Sophie Hojlo et François Sionneau
http://tempsreel.nouvelobs.com/speciales/la_justice_sous_pressions/2[tel].OBS4370/sarkozy_et_la_justice__un_tournant_judiciaire_.html

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